Side situ
dimanche 30 mars 2025
28 mars 2025
D’une journée d’études, écritures urbaines, à l’université Gustave Eiffel. Chaque intervention est riche, intéressante, il s’agit d’entamer de grands travaux en recherche sur l’écriture urbaine, ce que c’est, ce que ça fait, ce que ça prend. Des truelles de la Renaissance à l’hyper-contemporain, en passant par les grands chantiers du 19e ou ceux des années 1960-70, de la ruralité au périurbain. Flaubert, Hugo, de Certeau, Queneau, Romain, Beaudoin, Albert-Birot, Michaux, O’Hara, Schuyler, Robertson, Stonecipher, de Valois, de Medicis, Ernaux,...
Je me sens bien là, car je me rappelle [1] que Village tisse en permanence entre la campagne et la ville, à travers d’un côté le souvenir, de l’autre le désir. Aussi, que L’Homme heureux est une exploration de la banlieue aussi bien que des réseaux, flux de conscience et flux de données dans la ville liminaire que peut représenter la périphérie, j’avais éliminé la ville capitale du texte, tout comme les transports non "en commun". Déjà utilisé en lecture avec Anne, le lien qui existe entre Fenêtres, open space et C’était, lecture cut faite dans une commune rurale de 6 000 habitants, je crois, à moins que ce ne fût dans une zone périurbaine de 40 000 habitants. Et bien sûr les travaux de L’aiR Nu depuis des années, dont ceux en collaboration avec cette même université, avec Virginie Tahar en particulier. Le programme est ici.
J’ai pris des notes différentes de celles que je laisse ici :
écriture in situ
À l’Université Gustave Eiffel, je suis dans l’auditorium Cécile Poisson, où je représente, dans le public, avec Anne Savelli, L’aiR Nu, depuis la cinquième rangée, assis dans un siège rembourré, une tablette articulée ouverte devant moi, où j’écris dans mon carnet.
écriture side situ
Le long des vitres de l’auditorium, il y a une nature à moitié maîtrisée où des écomoutons paissent le long d’un grillage qui borde le bâtiment, je leur jette un œil de côté, ils me répondent de leur pupille horizontale. Comme moi, ils pensent : la ville est un objet d’étude, d’émerveillement, ou d’usage.
écriture screen situ
Sur le grand écran plat, pendant la visio, la barre des tâches d’un Windows à la batterie affaiblie indique successivement : "La pluie arrive", "Air : mauvais", "Le pollen demain".
écriture under situ
Au-dessus de ma tête, le plafond de l’auditorium est un grillage blanc ne dissimulant pas la tuyauterie et quelques néons. Et encore au-dessus il y a la bibliothèque universitaire Georges Perec, massif bâtiment de briques sur pilotis géant, sous lequel nous sommes. Pour entrer dans l’auditorium, il faut passer sous la bibliothèque, soutenue par de larges piliers et cet auditorium même. Des étudiant·es sans doute y sont penché·es sur un devoir, un dossier, un mémoire, leurs pieds posés sur le sol qui nous sert de plafond.
écriture far situ
Loin d’ici, il y a la ville. Cadre de vie, simple référence géographique permettant de situer les actions des êtres humains. Par exemple, à plus de quinze kilomètres à vol d’oiseau, il y a un Franprix, rue Trousseau à Paris, qui est repéré par son enseigne, à l’angle de deux rues du 11e arrondissement, qui ne servent qu’à placer ce supermarché. Plus loin encore, au sud de Montauban, il y a une rue Georges Pérec, avec un accent, dont nous ne savons pas si elle concerne l’écrivain, qui n’a habituellement pas d’accent. Encore plus loin, à Lomé au Togo, une rue des Mangotiers, dont le nom interroge jusqu’à ses habitants. Une rue Anaconda ? Mais quelle drôle d’idée ! On accuse un possible copinage entre chefs de quartier et mairie, et un mépris de la population. Cependant, tous les animaux n’ont-ils pas droit à la reconnaissance, et une rue des crapaux ne vaut-elle pas une avenue de la paix ? Comment savoir ?
écriture never situ
Un autre lieu. Eh bien, je pourrais écrire depuis cet endroit, sur cet endroit, où je n’irais jamais, où vous n’irez jamais, à moins que si, peut-être, le truc, c’est que si je n’en dis pas plus, vous n’en saurez rien, et s’il y a des tables et des chaises, un sol et des murs, nous voilà bien avancé, jamais nous ne tomberons d’accord sur où c’est, ce que c’est, et d’ailleurs, je n’ai pas envie d’y mettre les pieds, ni vous, ni moi, c’est rouge vif, ou marron beurk, et puis ça sent un peu mauvais, personne n’a aéré depuis des heures, des jours, et puis aussi, le lieu n’existe peut-être pas. Autrement, ce serait un vrai sujet.
écriture maybe situ
J’ai peut-être trop tôt quitté Quito.
écriture multi situ
Il y a dix rues Robert Keller en France, dans dix villes différentes, dont cinq en Île-de-France.
écriture ego situ
L’aiR Nu est bien placé dans cette journée d’étude, cité pour ses livres, son site, la qualité de ses créations sonores et visuelles, l’intérêt suscité pour ses projets de Bulles d’aiR, l’extraordinaire de son infolettre, c’est presque une journée d’adulation de notre association, qui marque sur tous les fronts, et reste dans la pièce longtemps après que tout le monde en soit parti.
écriture was situ
Le Black Lives Matter Plaza, sur la 16e rue à Washington D.C a été posé sur la rue même en mai 2021, peint en jaune. La raison en était simple : on tuait des Noir·es, par balles, à bout portant, on brûlait les églises des communautés noires, on agressait, verbalement, physiquement, là-bas, d’un racisme venu d’un temps de ségrégation pas si ancien. On n’est pas forcément mieux ici, il faudrait balayer devant notre porte. Les vies des Noir·es comptent, mais le mot qui le dit est effacé sur menace de la Maison Blanche : soit vous repeignez le slogan, soit vous mettez en péril vos subventions fédérales. Une photographie montre le coup de neuf du Black Lives Matter, l’autre montre l’effacement, fruit d’un travail administratif méticuleux d’une violence silencieuse qui risque de faire de bruit.
[1] Tant j’oublie en laissant le soin aux autres de trouver pour moi ce que j’ai laissé dans mes livres, mais ainsi les textes me semblent un peu oubliés, je dois constamment les aider à ne pas disparaître